Cycle de KfEE Futurités scalaires | Quels espacestemps pour (mieux) habiter les socio-écosystèmes terrestres ?

La progressive reconnaissance de l’ « événement anthropocène » et des conséquences qu’il induit sur les possibilités d’habiter les systèmes terrestres à plus ou moins long terme[1], a généré – au-delà des débats sur la qualification historique précise des processus étudiés et des responsabilités assignées – une inflexion profonde dans la manière d’envisager les « futurs soutenables[2] » des activités anthropiques. En sciences sociales, cette inflexion se traduit notamment par un « regain d’intérêt pour l’avenir[3] » prenant la forme d’interrogations sur la pluralité des temporalités qui ordonnent le développement des territoires, sur les nouvelles capacités d’anticipation des futurs des décideurs face à la variabilité climatique[4] ou sur l’analyse concrète et située des « activités visionnaires » qui structurent les pratiques d’une diversité de protagonistes[5]. Les dimensions plus menaçantes de ce renouvellement de la question temporelle se font également jour afin d’interroger les effets sociétaux des phénomènes d’accélération[6] [7], du passage de la durée au délai[8], ou de la dénégation du potentiel transformatif du futur par certaines catégories d’acteurs au sein des sociétés modernes[9]. En sciences de l’environnement, c’est la commensurabilité (entre), la compatibilité (avec) et la qualité des signaux (au sein) des échelles spatiales et temporelles qui a focalisé l’attention d’une pluralité des chercheurs au cours des dernières années (voir notamment les nombreux articles parus dans Environmental Hazard, Earth future, Journal of Hydrology, Ecology and Society…)

L’une des propositions récentes visant à intégrer un large éventail de ces préoccupations est, d’une part, d’inverser la relation causale « classique » entre le présent et le futur et de montrer comment le futur peut être envisagé comme précèdent et déterminant partiellement le présent. Le glissement lexical suggéré est alors de distinguer futur et futurité : selon Commons, la futurité n’est ainsi qu’une possibilité (i.e. pas encore une réalité), l’un des mondes possibles ou – plus précisément – l’un des chemins dans le champ des possibles. Il s’agit, d’autre part, de procéder à une analyse critique de notre manière d’envisager les échelles spatiales et temporelles afin de mieux qualifier les enjeux et de spécifier les éventuelles réponses politico-économiques à même d’y répondre. L’invitation à ne plus penser de manière dissociée le temps et l’espace (notion d’ « espacetemps » ou de « time/space[10] ») oriente ainsi les réflexions vers une spatialisation du temps et une temporalisation de l’espace[11]. Au final, il s’agit de mettre à l’agenda scientifique la question des futurités scalaires, car comme le notent Danowski et Viveiros de Castro, le sentiment de déconnexion qui nous paralyse face aux événements actuels ne renvoie pas « à une crise dans le temps et dans l’espace, mais d’une fissure du temps et de l’espace. Ce temps d’un effondrement généralisé des échelles spatiales et temporelles annonce l’avènement d’une continuité critique entre les rythmes de la nature et de la culture, signe d’un changement de phase imminent de l’expérience historique humaine[12]. ».

C’est cette continuité critique que l’on propose de caractériser et de comprendre dans cet atelier. Cela implique de s’approprier, pour mieux les dépasser, les enseignements des analyses récentes en termes d’alignement / désalignement des espaces[13] ou de synchronisations / désynchronisations des temporalités[14] et d’organiser de manière cumulative les enseignements d’études novatrices tentant de renouveler notre compréhension des espacestemps modernes[15] [16] [17] [18]. Assumant un tropisme pour l’analyse des risques climatiques mais étendant le champ de la réflexion, on pourra par exemple s’interroger sur les apports des études réfléchissant de manière critique sur les « alternatives temporelles et spatiales » aux approches normales[19] et nous invitant à « habiter les limites » (cf. Pellizzoni,2021) des socio-écosystèmes en y déployant des stratégies novatrices (d’’ « attachement », d’émancipation, de justice…) et des finalités faiblement institutionnalisées (bien-être, soin…)

Balayer une diversité d’objets, de terrains et de méthodes pourrait in fine nourrir une trame analytique qui viserait à identifier les catégories et les leviers d’action permettant de qualifier et d’arpenter les futurs socio-écosystémiques de manière « vivable ».

[1] Bonneuil, C., & Fressoz, J. B. (2016). The Shock of the Anthropocene: The Earth. History and Us. London: Verso.

[2] McPhearson, T., Iwaniec, D. M., & Bai, X. (2016). Positive visions for guiding urban transformations toward sustainable futures. Current opinion in environmental sustainability, 22, 33-40.

[3] Coleman, R., & Tutton, R. (2017). Introduction to special issue of Sociological Review on ‘Futures in question: Theories, methods, practices’. The Sociological Review, 65(3), 440-447.

[4] Noblet-Ducoudre, N., Dupouey, J. L., Levy, M., Bopp, L., Boucher, O., Dahan Dalmedico, A., & Baruch, J. O. (2007). The three unknown data of climate; Les trois inconnues du climat. Recherche (Paris).

[5] Chateauraynaud, F. (2013). Regard analytique sur l’activité visionnaire. Du risque à la menace. Penser la catastrophe, Paris, PUF, 309-389.

[6] Rosa, H., & Vettraino, J. (2016). La logique d’accélération s’ empare de notre esprit et de notre corps. Revue Projet, (6), 6-16.

[7] Stiegler, B. (2016). Dans la disruption: Comment ne pas devenir fou?. Éditions les liens qui libèrent.

[8] Villalba, B. (2016). Temporalités négociées, temporalités prescrites. L’urgence, l’inertie, l’instant et le délai. Interdisciplinarités entre natures et sociétés, Bruxelles, Peter Lang, 89-109.

[9] Hartog, F. (2005). Anciens, modernes, sauvages (pp. 197-220). Paris: Galaade.

[10] Schatzki, T. R. (2010). The timespace of human activity: On performance, society, and history as indeterminate teleological events. Lexington Books.

[11] Neisser, F., & Runkel, S. (2017). The future is now! Extrapolated riskscapes, anticipatory action and the management of potential emergencies. Geoforum, 82, 170-179.

[12] Danowski, D., & De Castro, E. V. (2017). The ends of the world. John Wiley & Sons.

[13] Ingold, K., Moser, A., Metz, F., Herzog, L., Bader, H. P., Scheidegger, R., & Stamm, C. (2018). Misfit between physical affectedness and regulatory embeddedness: The case of drinking water supply along the Rhine River. Global environmental change48, 136-150.

[14] Blue, S., Shove, E., & Forman, P. (2020). Conceptualising flexibility: Challenging representations of time and society in the energy sector. Time & Society, 29(4), 923-944.

[15] Rozance, M. A., Denton, A., Matsler, A. M., Grabowski, Z., & Mayhugh, W. (2019). Examining the scalar knowledge politics of risk within coastal sea level rise adaptation planning knowledge systems. Environmental Science & Policy, 99, 105-114.

[16] Blue, S. (2019). Institutional rhythms: Combining practice theory and rhythmanalysis to conceptualise processes of institutionalisation. Time & Society, 28(3), 922-950.

[17] Smith, H., Basurto, X., Campbell, L., & Lozano, A. G. (2020). Rethinking Scale in the Commons by Unsettling Old Assumptions and Asking New Scale Questions. International Journal of the Commons, 14(1).

[18] Kolinjivadi, V., Vela Almeida, D., & Martineau, J. (2020). Can the planet be saved in Time? On the temporalities of socionature, the clock and the limits debate. Environment and Planning E: Nature and Space, 3(3), 904-926.

[19] Howe, C., Lockrem, J., Appel, H., Hackett, E., Boyer, D., Hall, R., … & Mody, C. (2016). Paradoxical infrastructures: Ruins, retrofit, and risk. Science, Technology, & Human Values, 41(3), 547-565.

Déroulement du cycle (référent: Yvan Renou)

Calendrier prévisionnel

  • Questionner une pluralité d’objets, de champs et de méthodes pour informer les questionnements retenus. S’appuyer sur la discussion collective d’articles académiques qui seront introduits par un.e. volontaire (15mn de présentation pour chaque texte puis 30 mn de discussion).

    0 – Séance de lancement

    => jeudi 29 avril 2021

    1 – Contiguïtés : les impensés des démarches en termes d’alignement et de synchronisation
    K. Ingold et al. (Pollution et échelles spatiales de régulation) ; Blue et al. (fragmentation et synchronisation)

    => jeudi 27 mai 2021

    2 – Criticité : les espacestemps comme construits socio-politiques
    Vijay Kolinjivadi (temporaltés et limites planétaires) ; Smith et al. (échelles et communs)

    =>  jeudi 24 juin 2021

    3 – Circularités : des dispositifs de translation se jouant des frontières
    Aguiton (financiarisation des catastrophes naturelles) ; Demortain (Circulation des modèles de risques)

    => jeudi 15 juillet 2021 (???)

    4 – Matérialités : vers des assemblages socio-géophysiques dynamiques
    Howe et al. (infrastructures et temporalités) ; Rozance et al. (savoirs et politiques des échelles)

    => jeudi 30 septembre 2021

    5 – Normativité :
    des  systèmes  organisés et organisants
    Coletta (ordres temporels et normatifs) ; Blue (rythmes et institutions)

    Jeudi 28 octobre 2021

    6 – Futurités : des régimes d’anticipation pour arpenter l’avenir
    Neisser (gouvernement des émergences et riskscape) ; Frick-Trzebitzky (riskscape et bricolage institutionnel )

    => jeudi 25 novembre 2021

Comité d'organisation

Yvan Renou, Jonathan Cognard, Mohammed Kharbouche